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Lors du voyage de 2018, nous avons longuement discuté avec le religieux en charge du monastère de Kagar (Trangmar) qui nous a malheureusement affirmé que l’ancien monastère (abritant les fresques) avait été détruit il y a quelques années. A côté de sa maison, dont une grande pièce abrite un temple, des ruines seraient tout ce qui reste de l’ancien temple.

 

Les ruines du monastère de Trangmar. La partie étroite à l'extrémité cachée par le chörten serait l'ancienne salle de rangement.

Les peintures murales du temple de Trangmar

Kagar

Vallée de la Tarap – Dolpo

Dans la vallée de Tarap, au milieu d’un groupe d’habitations connu sous le nom de hameau de Kagar, un temple abritait un remarquable ensemble de peintures murales anciennes que l’on peut dater de la première moitié du XVème siècle. Il y a très peu d’exemples de fresques murales anciennes dans tout le Dolpo et aucune qui soient aussi anciennes que les peintures de Trangmar.
Bien que les circonstances précises de la réalisation des fresques de Trangmar restent inconnues, l’iconographie et l’esthétique des peintures indiquent une datation, vers la première moitié du 15ème siècle.
Comme en 1961, quand l’extérieur de Trangmar a été photographié par Corneille Jest, le temple comprend, au rez-de-chaussée d’une structure à deux étages, une grande pièce qui sert de salle de réunion et plusieurs pièces adjacentes. L’étage supérieur de la structure sert d’habitation au laïc qui fait fonction de gardien du temple. Jest a enregistré l’affiliation du temple à l’école nyingmapa, comme l’illustre l’emplacement bien en vue dans le temple d’un masque d’une émanation spéciale de Padmasambhava appelée Guru Trakmar (drag dmar), « le terrible gourou rouge » particulièrement révéré par les Nyingmapa. .

trangmar in Dolpo

. En fait, ce nom de l’émanation de Padmasambhava fournit une explication étymologique alternative au nom du temple lui-même. En effet, Brakmar (brag dmar) « falaise rouge » et Trakmar (drag dmar) sont prononcés de la même façon. Les Nyingmapa prédominent à Kagar depuis plusieurs siècles à cause de l’activité du grand lama Nyingmapa, Orgyan Tenzin (o rgyan bstan’dzin), 1657- 1729, dans la vallée du Tarap durant la seconde moitié du 17ème siècle. Ceci se reflète dans le temple par des fresques et thangkas des divinités de méditation nyingmapa. Avant la période nyingmapa, peu de choses sont sûres sur l’histoire et la fondation de Trangmar. L’existence historique de Trangmar est documentée dans les biographies de lamas sakyapas du Dolpo, qui visitèrent Trangmar au cours du 16ème siècle pour donner des enseignements. Un lama sakyapa établit même sa résidence comme abbé à Trangmar durant cette période, y servant pendant plusieurs années. On peut donc supposer qu’au cours du 16ème siècle, Trangmar était affiliée à la secte sakyapa. Il existe une tradition locale à Tarap, selon laquelle Amepal (1388 – 1445), le premier souverain de la dynastie Lo de Mustang, aurait fondé un temple nommé Jampa Lhakang (byams pa lha khang), « Temple de Maitreya », à Tarap au début de 15ème siècle. Selon cette tradition, le dieu de la lignée d’ Amepal (pho lha) s’incarnait dans un bélier noir qui suivait Amepal dans tous ses voyages. Chaque fois que le bélier se couchait, le roi construisait un temple ou un chörten. Amepal, suivi de son bélier, traversa la vallée du Tarap alors qu’il se dirigeait de Tichurong vers le Mustang. Le bélier se serait couché à Tarap en face de la montagne sacrée Bouddha Ri, et c’est ainsi qu’un temple fut construit par les gardes d’Amepal qui l’accompagnaient.
À l’heure actuelle, le temple considéré par les villageois, comme dédié à Maitreya et construit par le roi du Mustang dans la vallée de la Tarap est situé dans le hameau de Tokyu, à distance de la base du Bouddha Ri, beaucoup plus haut dans la vallée. Ce temple a été reconstruit et la statue de Maitreya restaurée en 1953. Malgré la tradition locale, il semble que le temple de Trangmar, plutôt que le temple de Tokyu soit le temple construit par Amepal. Une transposition dans la légende s’est apparemment produite au fil du temps, probablement parce que Trangmar est devenu plus tard un temple ouvertement nyingmapa pendant près de trois siècles et manque ostensiblement d’images de Maitreya, tandis que Tokyu héberge une monumentale statue d’argile de Maitreya.

Trangmar Gompa et Maitreya

. En fait, la vaste fresque murale de Maitreya du temple de Trangmar n’ a été que récemment redécouverte, cachée qu’elle était, par des rayonnages de bibliothèque.
Pendant que Corneille Jest vivait à Trangmar, toutes les peintures murales du temple étaient complètement cachées derrière les étagères de la bibliothèque au rez-de-chaussée et dans une petite pièce adjacente toujours fermée. Ni le lama du village, ni les archives du temple ne donnèrent à Jest la moindre indication d’un lien historique liant Trangmar à Amepal et à l’ordre sakyapa que lui et ses descendants avaient soutenu à Mustang.
L’existence même de ces peintures anciennes n’ a été découverte que grâce aux observations minutieuses d’Eric Valli durant son long séjour au Dolpo. Par la suite, lorsque les familles Pritzker et Roncoroni entreprirent la restauration du temple de Nesar à Bicher, au printemps 2000, elles visitèrent Trangmar et purent photographier les peintures murales dans leur intégralité.
Derrière le mur de la bibliothèque se trouve une image monumentale et magnifiquement rendue de Maitreya.
A l’intérieur de la salle de rangement adjacente, sur plusieurs panneaux sont dessinés les portraits des plus éminents lamas sakyapa, les cinq ancêtres des enseignements Sakya. Cette iconographie sakyapa permet une association avec Amepal; le souverain était un fervent dévot des enseignements sakyapa, à tel point qu’à la fin de sa vie il prononça ses vœux de moine devant Ngorchen, le célèbre lama sakyapa.
La fresque murale contenant l’image monumentale de Maitreya se trouve sur le mur arrière du hall principal de l’assemblée, la salle principale de Trangmar.
Longtemps après la construction initiale du bâtiment, un nouveau mur de bibliothèque a été construit à l’arrière du hall d’assemblée pour créer de nombreuses étagères permettant de ranger des livres. Cette rénovation était inhabituelle dans la mesure où le mur de la bibliothèque a été construit directement devant l’image de Maitreya, le dissimulant ainsi efficacement. Dans la pratique tibétaine, il est beaucoup plus courant de repeindre complètement les murs muraux que de construire un nouveau mur devant. Heureusement, cette dernière approche a été utilisée à Trangmar.
La fresque montre un Maitreya assis sur un trône, d’environ trois mètres de haut entouré de nombreux petits bouddhas assis en habits de moine effectuant divers mudras, représentant très probablement le bhadrakalpa, les 1000 bouddhas du futur éon. Un autre registre est dévolu à ce qui apparaît être des scènes de la vie du Bouddha.
Le visage de Maitreya est caractéristique des représentations du Bouddha par les artistes Newar, dans les peintures murales de Mustang – cheveux noirs dressés en épines, avec de minuscules fleurons aux tempes, un front large, des sourcils très minces et hauts arqués, des yeux allongés avec une courbure dans la paupière supérieure, un nez aquilin étroit et une petite bouche avec de fines lèvres. Bien que la fresque de Trangmar ait subi des dommages importants, la finesse de son exécution est encore évidente. Il y a un grand souci du détail, comme par exemple dans le rendu de l’usnisa (chignon), en forme de roue, dharmacakra. Ceci est semblable à l’usnisa distinctif du Bouddha ou des bodhisattva dans les peintures rupestres de Luri et Tashi Geling, au Mustang qui ont été datées de la fin du 13ème – 14ème siècle.
trangmar au Dolpo

Maitreya

. Derrière le mur orné du tableau de Maitreya se trouve une pièce supplémentaire, dont la fonction originale n’est pas connue. C’était peut-être un couloir d’un ancien déambulatoire, qui a ensuite été utilisé comme une chambre de méditation. Quand Jest était à Trangmar en 1961, elle était utilisée comme un entrepôt. et leurs peintures étaient peu visibles à la seule lumière naturelle. Par la suite, Eric Valli a pu révéler les peintures murales, grâce à la lumière artificielle. Sur un mur, il y a une composition d’un Bouddha blanc assis , orné d’une couronne et de bijoux, tenant ses mains croisées sur son cœur, flanqué de deux assistants Bodhisattvas. Ce Bouddha est probablement Vajradhara, représenté selon les exigences du Sadhanamala, où la couleur est blanche, bien que plus tard, dans l’iconographie népalo-tibétaine, la couleur du corps de Vajradhara soit bleue.

Trangmar Gompa, des fresques exceptionnelles

trangmar

. Bien que le Bouddha de cette composition ait subi des dégâts significatifs, nous pouvons encore discerner que son visage est presque identique à celui du Maitreya dans la salle de réunion principale – il a le même visage large avec une crête de cheveux triangulaire, le front large,: les sourcils hauts et arqués étroits, les yeux allongés avec le décrochage de la paupière supérieure, et de petits nez et bouche. Sa couronne est formée de trois pétales, remplie de nombreuses bijoux aux motifs concentriques, avec des bijoux similaires embellissant les boucles d’oreilles en forme de disques suspendues à ses lobes d’oreilles allongés. . L’auréole derrière la tête de Vajradhara est d’un bleu profond avec des motifs complexes dorés, en forme de rouleaux, contrastant de façon frappante avec les formes de l’éventail rouge et des feuilles d’or de la couronne au-dessus de la face large et blanche.
Il y a une forte ressemblance esthétique avec les traits faciaux et la couronne du Bouddha Vajrasattva dans les peintures rupestres de Luri au Mustang et avec le Lokesvara dans les peintures rupestres de Tashi Geling.
En comparaison, cependant, le Vajradhara de Trangmar a des proportions corporelles plus naturelles, tout comme les petits bodhisattvas debout à côté de lui. Tous portent une sorte d’écharpe ou de châle drapée sur les épaules, dont le tissu se déploie artistiquement à partir des coudes et semble flotter dans l’air. Ce traitement de l’écharpe est peu fréquent dans les peintures Newar de l’époque, mais c’est une caractéristique que l’on retrouve dans certaines peintures du Jampa Lhakhang de Lho Manthang. Le trône de Vajradhara est aussi quelque peu endommagé, mais on peut encore discerner au-dessus des colonnes richement sculptées, le sommet de lotus émergeant d’aiguières d’offrande stylisées, caractéristique des peintures de Newar composées à la fin du 14ème siècle jusqu’au début du 15ème siècle.
A droite du trône de Bouddha se trouve un grand portrait de Sa Chen, le fondateur de la lignée sakya. Il est représenté dans l’iconographie classique presque chauve, portant les robes amples et élégantes d’un aristocrate tibétain.

Trangmar

A gauche du trône de Bouddha se trouve un grand portrait de Virupa , principal mahasiddha de l’ordre sakya. Il est représenté suivant son iconographie classique, levant la main vers le ciel pour arrêter le mouvement du soleil. On notera, cependant, qu’il est drapé de guirlandes de fleurs, et que son assistante porte une robe tibétaine avec un châle recouvrant sa tête et son corps, confectionné à partir de tissu au dessin d’inspiration tibétaine – ce motif distinctif de croix rouges et bleues sur fond blanc est caractéristique des laines tissées par les nomades tibétains jusqu’à nos jours. Le parasol fournissant de l’ombre à Virupa est de forme inhabituelle et comporte de nombreux rubans.

Trangmar

. Une section séparée de ce mur présente des fresques murales des divinités protectrices Sakyapa par excellence:
  • Dorje Phurba, ailé, bleu foncé, représenté en yab yum, union mystique de la divinité avec son épouse, tenant son phurba entre ses mains
  • et Mahakala, protecteur bleu foncé dans sa représentation Gurgyi Gönpo, tenant un long bâton à l’horizontale au creux des coudes tout en serrant un tranchoir et une calotte crânienne dans ses mains.

trangmar

. Sur un autre mur de l’entrepôt, une fresque murale complète représente, sous plusieurs registres de mahasiddhas , les cinq principaux lamas sakyapa.

Trangmar

. Les portraits des cinq patriarches sont finement reproduits avec une extrême délicatesse des traits du visage, en particulier pour le célèbre Sakya Pandita et le moine Drakpa Gyaltsen Il y a aussi les portraits d’autres maîtres sakya accompagnés de petits portraits de moines, de lamas et parfois de laïcs. Entre les grands portraits des cinq patriarches sakya se trouvent des peintures de divinités méditatives. Traditionnellement, dans les portraits des grands maîtres sakya, nous voyons des représentations d’Hevajra, la principale divinité méditative sakyapa.
Ici, à Trangmar, Hevajra est associé à une représentation de Chakrasamvara , qui est plus particulièrement associée aux enseignements des Kagyupa.
Trangmar

Sakya Pandita et Drakpa Gyaltsen

. Ces cinq lamas, en tant que groupe sont appelées les « Jetsun Gongma Nga » (les cinq supérieurs) de l’ordre sakya. Les trois laïcs sont connus séparément sous le nom de « Karpo Nam Sum » (les Trois Blancs). Sakya Pandita et Chogyal Pagpa sont connus sous le nom de « Marpo Nam Nyi » (les Deux Rouges). A l’époque de ces cinq lamas, la lignée familiale connue sous le nom de « Lha Rig » et de « Khon » prit le nom de Sakya (« Terre Blanche ») d’après le lieu où Khon Konchog Gyalpo avait établi son centre religieux.

Trangmar

. Sachen Kunga Nyingpo (1092-1158), représenté au centre, est le premier lama de l’école Sakya, le 3ème détenteur du trône des Sakya. En haut à droite se trouve Sonam Tsemo (1142-1182), le fils aîné de Sachen. À gauche se trouve Dragpa Gyaltsen (1147-1216), le deuxième fils. En bas à droite se trouve Kunga Gyaltsen (1182-1251), le Sakya Pandita, petit-fils de Sachen Kunga Nyingpo. Portant le chapeau rouge d’un pandit, il est habillé comme un moine entièrement ordonné. À gauche, Pagpa Lodro Gyaltsen (1235-1280), Chogyal Pagpa, le neveu de Sakya Pandita, premier souverain monastique du Tibet. Il est également habillé comme un moine.

La visite de Trangmar Gompa est prévu dans notre voyage de l’automne 2018 au Dolpo.

Mais d’ici là, nous espérons recueillir d’autres informations sur cette gompa mystérieuse qui représente certainement la plus belle oeuvre d’art du bouddhisme au Dolpo. Et qui reste totalement ignorée.


Trangmar Gompa, documentation…

. Hidden Treasures of the Himalayas – Tibetan Manuscripts, Paintings and Sculptures of Dolpo, Amy Heller, 2009, Serindia publications.
. Etienne Principaud et Paulo Grobel Le 4 février 2018 … après un beau  we de ski à La Grave
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