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Les tibétains distinguent trois types d’hommes dont la vocation est fonction des conditions écologiques : l’agriculteur gran-pa ou so-nam-pa, le pasteur nomade drog-pa et un type intermédiaire appelé sa-ma-‘brog « mi-agriculteur, mi-pasteur ».

C’est dans cette dernière catégorie que doit être classé l’homme du Dolpo, d’après ses voisins drog-pa du plateau tibétain.

 

 

Les habitants du Dolpo élèvent des yaks et des bovins, des ovins, des caprins et des chevaux.

Du printemps à l’automne, les yaks, moutons, chèvres et chevaux qui constituent le troupeau, séjournent en altitude entre 4 200 m et 5 200 m. Le troupeau de yaks et d’ovins se déplace en hiver vers une zone plus clémente.

Un changement radical dans les pratiques de l’hivernage est survenu dans les années 1960. En effet, jusqu’à cette date, les troupeaux hivernaient d’octobre en avril sur le plateau tibétain, gardés par les nomades drog-pa tibétains. C’est au cours de ces déplacements que s’effectuaient une partie des échanges de grain et de sel. Seules les femelles et quelques ovins restaient sur place dans les étables. Cette pratique a été brusquement interrompue à cette date en raison d’un contrôle plus rigoureux de la frontière par les autorités chinoises.

L’apport de l’élevage est considérable. Outre leur viande, les animaux procurent les produits laitiers qui accompagnent le régime à base de céréales, la fumure pour les champs, le combustible domestique sous forme de bouses séchées et les fibres permettant la fabrication de tissus ou de cordes.

 

Le yak

 

Le yak (g-yag), Bos grunniens, est l’élément dominant du troupeau au Dolpo. Le terme de yak, s’applique seulement au mâle; la femelle est appelée ‘bri, ou ‘bri-mo.

Les yaks sont les animaux les mieux adaptés pour survivre dans l’environnement rigoureux du Dolpo: froid, altitudes élevées, rayonnement solaire intense. Ils peuvent se déplacer en terrain difficile, franchir des terrains dangereux, se déplacer de 45 kms en une journée, et porter une charge de 90 kilos, dans la neige à 6000 mètres d’altitude. Le yak n’a besoin de foin supplémentaire que dans les périodes de neige abondante. Il peut se nourrir d’une grande variété de fourrages et endurer des pénuries chroniques.

Le yak,  ne s’acclimate pas à une altitude inférieure à 3 000 m. Il donne du lait et de la viande. Son poil (poil de jarre ou de bourre), est utilisé pour le tissage. On coupe le poil de jarre au sixième mois et la bourre est arrachée. Sa peau sert a fabriquer des coffres et des semelles de botte ; ses excréments constituent l’unique combustible disponible.

Le yak vit jusqu’ à vingt ans, tandis que les femelles en général.vont vivre de quinze à vingt ans. Le yak atteint sa maturité sexuelle à l’échéance de quatre à cinq ans et le reste jusqu’à ses dix ans. La saillie a lieu en général au sixième mois (juillet-août) dans les pâturages d’été. La ‘bri met bas son premier veau à l’âge de trois ou quatre ans.Une ‘bri donne en moyenne un veau tous les deux ans. Le vêlage a lieu au cours du troisième mois (avril-mai). Le sevrage est fait en automne.

Certains yaks sont castrés à l’âge de trois ans. On perce la cloison nasale de ces yaks castrés qui sont ensuite utilisés comme animaux de bat, de selle ou de labour.

Les éleveurs du Dolpo pratiquent des croisements avec des bovins de type Bos taurus, sans bosse, identiques a ceux d’Europe occidentale. Cette race locale (palang ou bhalang ou lulu cow) est un animal de taille plus petite que le yak, à robe noire.

C’est le croisement, boeuf x ‘bri, qui est pratiqué au Dolpo. Les reproducteurs viennent de la région thakali, dans la vallée de la Kali Gandaki ou du Tibet.

L’éleveur trouve, chez l’hybride femelle ‘bri-mjo, un meilleur rendement par rapport a Bos grunniens et un pourcentage plus élevé de matière grasse dans le lait que chez Bos taurus ; chez l’hybride mâle mjo-pho, une plus grande docilité, qualité indispensable pour les animaux de bât et de labour.

 

 

Les produits des croisements successifs  prennent de plus en plus l’aspect extérieur du boeuf. La queue, touffue et semblable à celle du yak à la première génération, diminue de taille et de grosseur.

Dans d’autres régions de l’Himalaya népalais, dans les régions d’élevage de taurins, régions qui se caractérisent par un grand nombre de femelles, les éleveurs pratiquent aussi le croisement Bos grunniens (mâle) x Bos taurus (femelle) .A la première génération, on obtient des mâles stériles dzo et des femelles fertiles dzo ma. L’éleveur recherche dans ce croisement, la qualité par excellence du yak mâle, sa force et sa résistance physique, et aussi son adaptation a une altitude plus faible (2 500 a 3 500 m). Il obtient des animaux de transport, robustes et pouvant vivre dans les moyennes vallées du Népal.

 

Le Palang (bhalang, ba glan)

 

Ces bovins ont un petit corps, le poil assez long; la robe est le plus souvent noire, très rarement brune. Les vaches ont un veau en moyenne tous les deux ans. Tous les mâles sont vendus à deux ans à Reng-Pungmo, les femelles, ba-mo, sont conservées; en période de lactation, elles donnent cinq a sept mana de lait par jour (2,50 a 3,10 litres), soit le double de la production d’une ‘bri.

Les ba-mo sont toujours gardées à proximité des maisons et passent l’hiver en stabulation.

C’est surtout dans la vallée de la Barbung, à Terang et Shang que ces bovins sont élevés.

 

Les ovins, lug

 

Les ovins sont de race tibétaine, byan-lug (lit. « race du Nord, du plateau tibetain »), leur toison est longue et épaisse. La production laitière est médiocre; par contre, ils sont appréciés pour leur production de laine et leur endurance pour le transport du grain. On consomme leur viande.

La lutte (accouplement) se fait au dixième mois (octobre), l’agnelage, au premier mois (février). L’agneau est sevré en juin et la lactation se termine en septembre.

Le lait est transformé en beurre, dont la production annuelle est évaluée à 5 kg par brebis. Les mâles sont tondus au sixième mois (juillet-août), les femelles au septième mois (août-septembre) pour ne pas arrêter la lactation.

 

Les Caprins, (ra ma)

Les éleveurs distinguent deux races de chèvres :

  • byan-ra, la chèvre du Tibet, à cornes torsadées, à poils longs, de couleur brun-gris;
  • ron-ra (lit. « chèvre des vallées ») la chèvre des moyennes vallées du Nepal (Tichurong et Jumla).

Les mâles castrés et les chèvres sont utilisés comme animaux de transport. La lutte a lieu au neuvième mois (octobre-novembre), la mise bas au premier mois (février-mars). La production de beurre par animal et par an est de cinq kg en moyenne; ce beurre, de couleur blanche, porte le nom de mar-dkar-po.

Les poils des boucs et mâles castrés sont coupés au cinquième mois, ceux des chèvres au huitième mois.

Certains villageois possèdent ainsi des troupeaux de plusieurs centaines de bêtes. Ils sont parois gardés la nuit dans les villages mais, le plus souvent à distance dans des enclos ou des grottes et pâturent a distance des villages. En automne, pour Dasain, une des plus importantes fêtes hindoues, les bêtes sont acheminées en grand nombre vers les basses plaines pour être vendues et servir aux sacrifices à la déesse Durga.

Fonctionnellement et symboliquement, chèvres et moutons sont regroupés au Dolpo, ce qui se reflète dans le nom local de ces animaux : ralug qui signifie « chèvre-mouton ».

Les chevaux (rta)

Un dicton de Tarap dit que « le cheval est la richesse de la maison ». Animaux de prestige, ils sont très prisés par les dolpo-pas. La meilleure herbe leur est réservée, additionnée de grains et de pois.

Le cheval élevé au Dolpo est un poney, intermédiaire entre le poney mongol et le cheval de l’Asie du Sud, identique à celui du Tibet. 

Pour éviter les querelles, il n’y a souvent qu’un étalon, seb, par vallée. Chaque accouplement est payé à son propriétaire.

Les chevaux occupent une place importante dans l’iconographie bouddhiste tibétaine et dans les mythologies villageoises. Des rituels religieux spécifiques sont organisés pour assurer la santé des chevaux. Chaque année, les chevaux sont bénis au cours d’une cérémonie et reçoivent un talisman en tissu carré contenant de minuscules rouleaux de prière qui empêche les esprits mauvais, d’entrer dans le corps des chevaux. Ces prières sont censées protéger l’animal et, par extension, la prospérité du foyer. Lorsqu’un cheval meurt, un religieux récite une prière das puis un homme de basse strate détache le crâne de l’animal qui est placé sur le toit de la maison «  pour attirer la bonne fortune ».

Les chiens, (kyi)

 

Les chiens de garde portent le nom de « chiens du Tibet » bod-khyi, ce sont des dogues de grande taille, au pelage noir, au poitrail large, la tête assez grosse, oreilles longues, poil long, le museau court et gros. Ils ne sont pas dressés pour la conduite des troupeaux : attachés près de la maison ou de la tente en été, ils ne sont détachés que la nuit pour éloigner les loups qu’ils n’hésitent pas à attaquer.

 

 

D’autres animaux domestiques, tels que poulets et porcs, ne se trouvent pas dans les hautes vallées de Dolpo. Ce n’est que dans les zones de basse altitude du district de Dolpa (par exemple, dans la région de Phoksumdo et dans la vallée de la Barbung) que l’on peut en rencontrer.

 

 

Le cycle annuel de l'élevage.

L' estivage, dbyar-dus

 

Au mois d’avril, la communauté se prépare à envoyer les animaux au pâturage. Chaque village, a sa zone propre; on la désigne du terme de gron ou chu-bran. Cet espace s’étend en gros autour du village jusqu’à la limite de la végétation, variable selon l’exposition des pentes. Un certain nombre d’espaces connus, délimités, sont pâturés a tour de rôle par les animaux. Dans chaque espace, il y a des emplacements de campement dont les « maisons » sont propriétaires.

L’estivage consiste donc a faire paître les troupeaux sous surveillance et a traire les femelles. Les pâturages étant à plusieurs heures de marche du fond de la vallée, les gardiens résident sur place. Les propriétaires qui n’ont pas un nombre d’animaux suffisant les confient à un voisin, à charge de lui restituer par des jours de travail les frais de gardiennage.

Comme pour la mise en culture du sol, le départ à l’estive est fixé par divination ; c’est en général le vingtième jour du quatrième mois. Quelques jours sont nécessaires pour préparer le départ : mise en ordre du matériel, réparation des tentes, transport de tous les objets domestiques et de la nourriture au pâturage d’altitude.

 

 

Les bergers, vivent sous la tente (rcid-gurm) ou dans des abris de pierres (kharka), aux murs noircis par la fumée, et percé d’une seule ouverture, la porte. La tente est tissée en jarre de yak, elle est soutenue par deux mats.

Dans un coin près du seuil, sont disposés un foyer constitué de grosses pierres et des ustensiles de cuisine. Dans le fond de la cabane les provisions entassées pour les deux mois d’été : des sacs de riz, de farine, des briques de thé. Sont également entreposés là des seaux de beurre, des sacs emplis de fromage, tous les produits fabriqués sur place. Des couvertures complètent l’équipement de la cabane.

 

 

Dans les pâturages, les journées s’organisent au rythme des deux traites, à l’aube et au crépuscule. Entre temps, l’heure est à la fabrication des produits laitiers. Pendant ce temps, les bergers ont mené leurs troupeaux sur les terrains environnants. Vers 17 h, on ramène aux cabanes les animaux qui doivent être traits.

Intervenir en cas d’accident, prendre soin des animaux, ne suffit pas, il faut encore les protéger et pour cela, l’éleveur fait appel au lama. Des charmes, srun-ba, éloignent les maladies, des banderoles a prière protègent le campement ou la caravane, des tas de trois pierres, thowo ( tho-bo), disposés autour des pâturages éloignent les animaux sauvages. Une fois par an, on orne les yaks, moutons, chèvres et chevaux avec des flots de cinq couleurs, dar-lna, après la lecture d’un texte sacré.

Vers la mi-septembre, les animaux descendent et vont être laissés à pâturer dans les champs moissonnés.

 

 

Les animaux, yaks, mais aussi moutons ou chèvres servent également à l’occasion d’animaux de bât, utilisés pour le commerce inter-villages ou à plus longue distance.

 

L' hivernage

 

C’est ensuite le moment de migrer vers des terres plus basses. Cette migration est surtout le fait des animaux de prestige (yaks, chevaux, dzo). Les vaches ordinaires sont pendant les mois d’hiver laissées libres. Ce bétail (palang) erre alors dans les rues, mangeant au hasard tout ce qu’il peut trouver ; cartons, papiers, etc. En cas d’hiver rigoureux, la mortalité de ce bétail peu valorisée est importante.

Chaque village de Dolpo possède une zone d’hivernage.

Jusqu’en 1960, les troupeaux étaient pris en charge par des groupes de drog-pa résidant de part et d’autre du Tsangpo. A cette date, l’élevage a beaucoup souffert de l’occupation du Tibet par la Chine, d’une part à cause de l’arrivée massive de refugiés tibétains et de l’établissement de leurs familles et de leurs troupeaux entraînant un sur-pâturage des alpages et d’autre part du fait de la fermeture de la frontière qui a interrompu la migration hivernale ancestrale des troupeaux vers les plaines libres de neige du Tibet. Source de frictions entre le Népal et la Chine, cette pratique a totalement cessé depuis 1985.

Avec l’ouverture aux produits manufacturés venus de Chine ou du Népal l’élevage des moutons, a beaucoup diminué, car la laine nécessaire à la confection de l’habit traditionnel a été supplantée par les textiles modernes. Sécheresse accrue et hivers rigoureux ont également concourus à la réduction d’effectif du bétail.

 

Les produits de l'élevage

Les produits laitiers

 

Traditionnellement, le lait n’est pas consommé à l’état liquide, si ce n’est en mélange avec le thé. Il est transformé en divers produits : yaourt, beurre, babeurre, fromage frais et sec qui accompagnent les nombreux plats à base de farine d’orge.

Le lait tout juste tiré est le plus souvent immédiatement bouilli. Une fois tiédi, on l’ensemence avec un peu de babeurre qui joue le rôle de coagulant, puis on le maintient au chaud dans un récipient enveloppé de couvertures pendant toute une nuit. On obtient ainsi du yaourt. Le yaourt est ensuite brassé dans le but d’en faire du beurre. Le babeurre au goût acide est très apprécié. Il est également utilisé comme ferment dans la fabrication du yaourt et du pain. Bouilli pendant vingt a trente minutes, le babeurre coagule pour donner du fromage frais, mis ensuite a égoutter dans des sacs suspendus aux piliers des tentes ou des maisons. On le modèle alors en fins rubans sinueux que l’on expose au soleil. Ainsi séché, le fromage durcit et peut ensuite se conserver indéfiniment. Il est appelé churpe. On le consomme bouilli dans les potages ou il reprend une consistance plus souple.

Le beurre est baratté à la main, stocké jusqu’ à un an dans des panses des moutons retournées, ce qui le préserve, quoique avec une saveur rance. Le beurre est l’élément de base du thé tibétain, il sert à confectionner les tormas utilisées lors des cérémonies religieuses ; il humidifie la peau et embellit les cheveux.

 

La laine

 

Le filage de la laine est une activité de tous les instants : hommes et femmes. utilisent des fuseaux en bois, tenus à la main, pour filer tout au long de la journée, même en marchant. Les femmes du Dolpo utilisent des métiers à tisser pour fabriquer de très beaux textiles.

 

La Viande

 

Bien que les convictions bouddhistes interdisent de tuer les animaux, la viande est un aliment de base du régime alimentaire au Dolpo. L’injonction religieuse est contournée en utilisant les services de membres de basse strate, (habituellement des forgerons).

Le boucher reçoit la tête de l’animal en guise de compensation pour son travail et l’accumulation spirituelle négative sur son karma, qui accompagne l’acte de tuer.

Causer du stress ou de la douleur à un animal (par exemple, en transperçant le nez des animaux de trait, en les castrant) est également considéré comme déméritant. Pour éviter ces pollutions karmiques, les femmes n’abattent jamais les animaux et n’exécutent jamais de castrations.

 

 

L’activité des habitants du Dolpo est donc double : travaux agricoles avec production de l’orge, élevage des yaks, des ovins et des caprins. Ces deux activités entraînent dans une alternance saisonnière la division des taches et la séparation en deux groupes de travail des hommes de la communauté.

 

 

Le yak est un élément essentiel à la survie des habitants du Dolpo; Il imprègne aussi tout leur imaginaire, en témoigne les oeuvres du célèbre peintre du Dolpo, Tenzing Norbu.

 

Bibliographie

  • Dolpo – Communautés de langue tibétaine au Népal, Corneille Jest, Cahiers népalais, éditions du CNRS 1975.
  • High Frontiers Dolpo and the Changing World of Himalayan Pastoralists, Kenneth M Bauer, Columbia University Press, 2003.
  • Travail de la terre, travail de la pierre. Des modes de mise en valeur des milieux arides par les sociétés himalayennes : L’exemple du Ladakh, Valérie Labbal, Thèse Aix-Marseille 1, 2001