Plusieurs villages dont les deux principaux sont Do (mDo) et Tokyu (Tok-khyu) sont construits le long de la Tarap chu (Thakchiu khola sur la carte finlandaise). . Le village le plus important étant Do (mDo), la vallée est souvent appelée Do-Tarap (mDo rTa rab).
Sous le règne du roi tibétain Trisong Detsen au VIIIème siècle, trois démones très féroces et puissantes tentèrent d’empêcher la propagation de la religion bouddhiste au Tibet. Persécutées par le grand maître bouddhiste Guru Rimpoche, qui voulait les maîtriser, elles s’enfuirent au Dolpo. Une démone trouva refuge dans dans la vallée de la Tarap, une autre à Phoksumdo et la dernière à Tibtu (Tibrikot). L’aînée des trois démones s’enfuit dans la vallée de Tarap, poursuivie par le Guru Rimpoche. En chemin, elle rencontra un berger gardant des yaks. Le priant de ne révéler à personne qu’elle était passée par là, elle lui donna une turquoise. Plus tard, Padmasambhava croisa aussi la route du berger et lui demanda si une femme était passée par là. L’homme répondit qu’il n’avait vu personne. Le guru lui demanda alors ce qu’il y avait dans sa poche. Lorsque l’homme sortit la turquoise, elle se transforma immédiatement en serpent. Ainsi le Guru Rimpoche sut-il ce qui s’était passé. Il détruisit le serpent et continua sa route jusqu’à Tarap. Pendant ce temps, la démone avait utilisé le sol transporté d’Inde dans les plis de sa jupe pour barrer la rivière à Tarap, inondât la vallée en détruisant tout. Alors qu’elle méditait sur ses plans maléfiques, le Guru Rimpoche arriva et la détruisit. Puis, avec une épée, il creusa une gorge, laissant l’eau s’écouler de la vallée. Le sol transporté par la démone d’Inde est unique au Dolpo, et là où l’eau avait été retenue, un col de montagne s’est formé, connu sous le nom de Kyezig La. Le cœur de la démone est enterré sous la falaise, près du col. Sur ce lieu, trente écrits furent placés. Il est dit que boire trois gorgées de cette eau, élimine tous les obstacles engendrés par les esprits malins.
Après que le lac se fût formé, un cheval (rta) de la plus excellente qualité (rab) émergea de l’eau et le lieu devint connu sous le nom de Tarap (rTa rab), « la vallée aux excellents chevaux ».
La majorité des habitants de la vallée de Do/Tarap sont des adeptes de la secte bouddhiste nyingmapa dont le protagoniste principal est Guru Rimpoche. Un plus petit groupe de personnes suit la tradition bön et vit principalement à proximité du monastère de Shipchok ou à Do.¨
A l’époque où Corneille Jest réalisa son travail d’ethnologie dans la vallée, 23 « maisons » étaient considérées comme bouddhistes et 7 böns. En 2002, Marietta Kind parle de 11 « maisons » bönpos et 37 « maisons » bouddhistes.
A Do, c’est l’appartenance à une « maison » qui détermine l’ordre religieux auquel on vient s’intégrer. La maison avant d’être habitée est consacrée par un religieux, elle devient un sanctuaire de la divinité lha qui y réside : si le lha est bönpo, la famille sera bönpo. La jeune femme qui quitte la maison de ses parents, adopte par son mariage la divinité de sa nouvelle maison. Lorsqu’il n’y a pas d’héritier mâle, c’est le gendre qui accepte la divinité de la maison dans laquelle il s’établit.
A l’heure actuelle existe un respect mutuel des croyances et une connaissance réciproque des textes religieux. Souvent le texte bönpo est semblable au texte nyingmapa, seuls les noms des divinités et leur description sont différents. Lorsqu’une cérémonie religieuse se déroule dans une maison, les religieux de l’ordre auquel appartient la famille y participent, mais y viennent aussi les religieux de l’autre ordre, s’ils sont parents. Il arrive que les lamas bönpo aident des religieux nyingmapa à interpréter le rituel. Bönpos et bouddhistes participent ensemble, aux cérémonies religieuses kurim (sku-rim) pour protéger une maison, soigner les maladies etc.
La région possède de nombreux temples. La plupart sont d’obédience bouddhiste. Un autre est bönpo : la gompa de Deden Phuntsok Ling (Dar rgyas phun tshogs gling) à Shipchok (Srib phyogs). Une dernière : la gompa de Ribo Bumpa (Ri-bo bum-pa) enfin est tout à fait particulière puisque ses murs sont couverts de fresques relevant des deux croyances.
Les deux traditions religieuses ont non seulement leurs monastères séparés, mais elles circumambulent aussi leurs montagnes sacrées respectives. A partir de Do, les pèlerins bouddhistes se dirigent dans le sens des aiguilles d’une montre autour de leur montagne Bouddha-Ri, tandis que les pèlerins böns font le tour de leur montagne Pawo-Ri (dpa ‘bo ri) ou Pawo Drunga (dpa ‘bo gru lnga) dans la direction opposée. Au lieu de faire le tour de la même montagne dans des directions opposées, comme c’est le cas au Kailash (Tise), chaque tradition religieuse de Tarap a sa propre montagne et ce n’est que dans la dernière partie que les deux itinéraires de pèlerinage se rejoignent. La forme des deux itinéraires, qui se fondent en un seul, ressemble à un cœur avec une aile bouddhiste et une aile bön. Après avoir fait le tour de leurs montagnes sacrées et traversé leur col principal respectif, le Drolma-la pour les bouddhistes et le Jamma-la pour les Bons, les deux groupes de pèlerins se rejoignent sen un lieu appelé « terrain de danse des dakinis » où tous les villageois, böns ou bouddhistes se réunissent avant de retourner au village.
L’année la plus favorable pour effectuer ces deux pèlerinages est l’année du cheval, au 5ème 6ème ou 7ème mois de l’année tibétaine.
Circumambulation bön de Pawo Drunga
Le nom Pawo Drunga (dpa’bo’ bru lnga) signifie les « cinq grains héroïques ». Dans la tradition bön, ils se réfèrent aux cinq syllabes germes : A, om, hung, ram, dza’ Ces syllabes sont le symbole des « cinq sagesses », des « cinq éléments », des bouddhas des cinq directions, des quatre directions cardinales et du centre, des « cinq organes intérieurs », des « cinq sens », etc. En chantant ces syllabes, les bouddhas des cinq directions peuvent être invoqués pour aider et se purifier. Les « cinq syllabes héroïques » gravées sur un svastika sont aussi l’un des attributs de Satrig Ersang (Sherab Chamma), la principale divinité féminine de la religion bön ; la première des « quatre seigneurs transcendants ».
Une ancienne prophétie annonçait qu’un grand maître viendrait lors d’une année du cheval et « ouvrirait » le pèlerinage autour de la montagne locale. C’est ainsi que lors d’une telle année (probablement en 1918), Namgyal Sherab Gvaltsen (1880 – 1949) de la lignée Khyungpo Karu du village de Pugmo arriva à Do-Tarap, initia la pratique du pèlerinage de Pawo Drunga, et accomplit ainsi la prophétie.
Bien que, l’année la plus favorable pour une circumambulation de la montagne Pawo Drunga soit l’année du cheval, les adhérents locaux de Bön font un pèlerinage chaque année. La date la plus opportune pour le pèlerinage est habituellement le 15ème du 7ème mois, mais la plupart des pèlerinages ne sont pas fixés à une date précise: les pèlerins y vont quand ils peuvent s’arranger pour s’absenter du travail, de préférence dans le 5ème, le 6ème ou le 7ème mois tibétain à la pleine lune (15ème jour), le 10ème ou le 30ème jour du mois.
Le circuit, partant de Do passe devant le petit village de Doro (Dhoro), puis, les ruines de deux anciennes gompas appelées Tabshi, et Trakang. A l’est, la vallée de Tsakö (Tahari khola sur la carte népalaise) mène au village de Tsharka (Chharka Bhot) en passant par le col du Tsakö Ting La (Jhyarkoï La). Cette vallée est gardée par une divinité locale, « le Ministre de la vallée de la puissante rivière rouge » : Lonpo Tshalung Marpo (blon po po gtsang lung dmar po), qui était vénéré à l’origine sur un rocher de la vallée avant la construction d’un sanctuaire près du village.
Une petite vallée latérale s’ouvre au au nord et permet d’atteindre une grotte de méditation appelée Mondö Tampa Gompa. Ici, le grand Yangton Tsukpü Gyaltsen de Tsharka, médita de nombreuses années avant de mourir.
Plus haut, se trouve, la grotte appelée « tanière éternelle du tigre » (gYung drung sTag tsang phug). On dit qu’il y a longtemps un tigre est né dans cette grotte. En raison de cette grotte, le pèlerinage est souvent dénommé « pèlerinage de la tanière du tigre ». A l’intérieur il y a une représentation en pierre, miraculeusement formée, de Namgyal Sherab Gyaltsen, le fondateur du pèlerinage. La statue est recouverte d’offrandes de beurre qui l’ont rendue méconnaissable au fil des ans. A proximité, se trouve une source sacrée, miraculeusement produite par Namgyal Sherab Gyaltsen. Les pèlerins remplissent des bouteilles d’eau pour la rapporter chez eux pour les amis et les parents qui n’ont pas pu faire le pèlerinage.
La vallée latérale suivante monte vers le nord-ouest et atteint une petite plate-forme au bord d’une grande falaise au-dessus de la vallée principale. Des empreintes du fondateur suprême de la religion Bon, Tonpa Shenrab Miwo sont supposées être gravée dans la paroi rocheuse, mais elles restent indétectables sans un guide averti et initié. Des empreintes de Takla Mebar (sTag la me’bar) seraient également visibles. Takla Mebar est la principale divinité du pèlerinage. D’un côté il est une figure mythique, disciple de Tönpa Sherab, fameux en tant que transmetteur de tantras et pourfendeur de démons ; de l’autre il est prié comme une divinité tutélaire (yidam). Ayant une seule tête et deux mains, il a une apparence féroce.
Son nom peut aussi être écrit légèrement différemment (sTag lha me’bar), signifiant le « dieu-tigre, entouré de flammes », un nom qui prend tout son sens dans le contexte de la kora de Pawo Drunga , sa tanière du tigre et ses collines environnantes décrites comme des flammes de feu.
Tout près de là, se trouve un « cimetière » sacré. Parfois, lorsque les lamas n’ont pas été en mesure d’accomplir les rituels de mort (bardo) appropriés auprès du défunt, les parents portent ici le cadavre du défunt, où il recevra automatiquement la bénédiction phowa – la cérémonie dite phowa (pho ba) permet le transfert de la conscience et la réincarnation -. Les pèlerins y déposent des morceaux de tissu de leurs parents décédés ou des cornes de leurs animaux les plus chers pendant qu’ils prient pour leur renaissance heureuse.
Le pèlerinage passe ensuite à proximité de formations rocheuses appelées « rochers de la purification ». Entre ces blocs rocheux, de détache une ouverture étroite. Si le croyant réussit à se frayer sans problèmes un passage, ses péchés seront effacés et ses souillures karmiques seront purgées, tandis qu’une personne qui a commis trop de péchés s’y retrouvera coincée.
Après avoir franchi une zone jonchée de pierres d’offrandes (madal), le sentier rejoint le col de Jamma La, du nom de la déesse bön Sherab Shamma (shes rab byams ma) – Jamma.
Sherab Chamma (mère aimante support de sagesse) est une autre forme de Satrig Ersang et joue le rôle de support de méditation. Son nom associe la syllabe cham (byams) « qui aime tendrement » à laquelle est adossée le suffixe féminin ma. Sherab est formé par la syllabe shé, qui signifie connaissance et rab qui signifie excellent . C’est la traduction de sagesse (sk. prajna). D’apparence paisible, son corps est de couleur jaune, orange ou blanc. Elle possède une face et deux mains. La main droite tenant habituellement un vase près du cœur ou sur son côté et la gauche, un miroir dans sa main tendue vers le haut. Elle est souvent comparée aux déesses bouddhistes Tara (Drolma) et Prajnaparamita (Yum Chenmo).
Après avoir déposé quelques écharpes blanches (khata) et des drapeaux de prière (loungta) au cairn (lhabsa ou laptse) marquant le col, les pèlerins se prosternet, chantent et dansent avant de descendre la pente abrupte. Le sentier rejoint le fond d’un vallon et une surface ouverte appelée le « terrain de danse des dakinis » où les sentiers de pèlerinage bön et bouddhiste se rejoignent et où les pèlerins des deux cultes chantent et dansent ensemble avant de rejoindre la vallée principale et leurs foyers.
La circumambulation bouddhiste de Buddha Ri
(gnas-gsar-pa – gnas-skor-lam)
Le pèlerinage bouddhiste de Tarap a été « ouvert » par le lama mdo-snags nor-bu, (Do ngak Norbu) en 1858. Le lama principal qui a médité dans la région et laissé ses traces le long du chemin de pèlerinage d’aujourd’hui est le lama Pha rgod r’Togs ldan..
L’itinéraire fait le tour de la montagne Buddha-ri qui domine les villages de Do et Tokyu.
Le trajet emprunte la rive gauche de la Tarap-chu (Thakchiu khola sur la carte finlandaise), passe sous Karwa, contourne le chörten chen-po construit par le roi du Mustang Amepal et arrive au confluent des rivières Nangkhong-chu (Jyanla khola) et Ting-kyu-chu (Chhoïla khola). où se situe l’autel de la divinité du lignage (pho-la), gsum-sna pho-la, ainsi que l’emplacement d’un « grand fort à neuf étages » aujourd’hui en ruines. On y vénère aussi les empreintes de pieds (cupules d’érosion dans une plaque de calcaire) de lamas.
La montée se poursuit à travers des champs en friches. Auprès de deux chörtens en ruine sourd un filet d’eau aux propriétés curatives et bénéfiques. Ce lieu est parsemé de blocs de rochers aux formes arrondies ; celui qui peut en soulever un se libère de toutes ses fautes. Sur la rive droite, près de la ligne de crête qui en cet endroit domine de plus de mille mètres le fond de la vallée, apparaît un rocher ruiniforme, surmonté d’un mas de prières, indiquant le lieu de méditation d’un lama célèbre. Le sentier monte ensuite dans une combe où sont édifiés de petits thowos (tho-bo), groupes de trois pierres de calcite blanche dont le nom local est madal (man-dral), terme religieux qui désigne aussi une construction magique. A proximité du col, il faut ramasser des pierres, ornées de cupules d’oolithes, appelées « pierres de pèlerinage » (gnas-rdo) que l’on conserve précieusement dans la chapelle de la maison ou le coffret où sont rangées les objets précieux.
Le col Drolma la est marqué par un grand cairn (lhabsa ou laptse) supportant drapeaux de prières, cornes de bharals, de cervidés, de yaks, gravées du mantra Om mani. Lors du rendez-vous annuel, les pèlerins vont en faire le tour, se prosterner cent huit fois en direction de l’est, renouveler le mat et les drapeaux qui l’ornent. S’ensuivent des danses, rythmées par la musique. Au centre du cercle, emplacement rituel de la danse, il y a un grand thowo, formé de trois gros blocs de rocher. Les enfants qui ne dansent pas se mettent au centre du cercle en signe de bon augure. Après la danse on refait la circumambulation du cairn, une triple salutation et le pèlerinage se poursuit.
Sur la gauche, se dresse une falaise rouge et c’est dans cette direction que les jeunes femmes qui désirent un enfant se prosternent par trois fois.
Il faut passer un deuxième col, le Gon-mo La, le « col des tétras », avant de descendre rapidement.
Au lieu-dit bo-than, « palais des divinités », deux énormes rochers s’adossent à un ensemble de blocs ruiniformes ; sur le plus grand est gravé le mantra om ma ni padme hum. C’est le « rocher du péché ». Il faut passer là en rampant et l’on dit que le pèlerin qui a accumulé de grandes fautes ne peut en sortir et y meurt étouffé.
Plus bas au lieu dit bum-than, se rejoignent les deux koras bön et bouddhistes. Chants et danses autour d’un thowo, sont à nouveau d’actualité, avant de rejoindre la gompa de Nimaphug à Doro.
Ce pèlerinage se déroule comme le pèlerinage bön, le 15ème jour du 7ème mois, mais ici aussi le 5ème, le 6ème ou le 7ème mois tibétain à la pleine lune (15ème jour) ou le dernier jour du mois peut être choisi. Le territoire dans lequel il se déroule est un grand espace sacré ; toute chasse y est absolument interdite. Treize circumbulations du gnas-gsar-pa équivalent à un pèlerinage au Mont Kailash.
En pratique
Le parcours de la Kora bouddhiste, passant par Tokyu, le Drolma La, Dhoro et Dho, est un parcours long et plutôt difficile. Il se déroule sur 20 kilomètres entre 4094 m et 5142 m d’altitude. Le dénivelé est d’environ 1100 m et nous a demandé 8 h 30 en comptant les haltes.
Ce n’est donc pas vraiment une journée de tout repos.
Le parcours de la kora bön est, à priori nettement plus court en distance, mais le dénivelé est tout aussi conséquent (le col Jamma La culminant sur google earth à 5167 m). Un bon sentier bien visible sur google earth parcourt toute la combe de montée.
Bibliographie
Dolpo – Communautés de langue tibétaine au Népal, Corneille Jest, Cahiers népalais, éditions du CNRS 1975.
Himalayan pilgrimage, David Snellgrove, 1981, Boston Shambala
The Bon Landscape of Dolpo: Pilgrimages, Monasteries, Biographies and the Emergence of Bon (Anglais), de Marietta Kind, Furger, Peter Lang AG, Internationaler Verlag der Wissenschaften, 2012.
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